Toujours trop cher. Plus sérieusement, de quoi se compose le prix ? Une question qu’un jour chacun.e d’entre nous s’est certainement posé mais qui devient cruciale quand on commence à vouloir vivre de son travail. Le prix est particulièrement compliqué à définir pour les “marchandises” de l’esprit que sont les œuvres d’art, les livres ou la musique. Prenons le cas concret d’un livre puisque c’est ce qui nous intéresse ici.
Le plus simple en premier : combien coûte la fabrication d’un livre ? Le coût se compose des droits d’auteurs, des coûts de fabrication, de diffusion, de marketing et éventuellement d’éditeur ou de distributeur. La marge de manœuvre dans la définition du prix final ne peut souvent être ajustée que sur le revenu de l’auteur et le budget marketing. Plus un ouvrage se vend, plus cette marge peut être réduite en profitant de la dynamique propre de votre livre. Autrement dit, plus un livre se vend, plus il a tendance à se vendre davantage et donc, plus il est possible de réduire le prix tout en augmentant dans l’absolu le bénéfice. Pourquoi ? Parce que la valeur d’une heure investie est directement dépendante du volume d’ouvrages vendus et non de la valeur absolue du livre.
Escalader la face nord du Mont-Smic.
Si l’on voulait prendre comme maître étalon le Smic (actuellement à 10,57 € de l’heure), il faudrait donc vendre un nombre de livres qui permet de rentabiliser le temps passé en heures à le fabriquer (écriture, relecture, correction, mise en page, etc.). Par exemple : Je veux vendre un livre sur lequel j’ai passé disons 1000 heures pour un volume de 400 pages. Admettons que je n’en vende qu’un, il faudrait qu’il coûte : (1000 x 10.57)+(tous les autres frais). Si c’est un livre standard, en noir et blanc sur du papier de bonne qualité et en format broché, cela me coûterait sur KdP 0,60 € pour le livre et 0,012 € par page soit 5,40 € par livre (je vous laisse imaginer le coût d’un livre sur papier glacé et en couleur). S’ajoute à cela la part que prélève Amazon pour vous donner accès à la plateforme de vente, la TVA et les coûts publicitaires (disons 30 €, soit 1 euro par jour pendant un mois de publicité) qui dépendent du nombre de clics et qui sont donc variables.
Si je vends mon livre 11000 €, pas de problème, je suis rentable dès le premier. Mais ne rêvons pas, il va falloir en vendre plus. La deuxième question qui vient compléter la première est donc la suivante : combien d’exemplaires peut-on espérer vendre en autoédition ? Soyons honnêtes, 100, c’est un bon début, 300, c’est correct, au dessus de 1000, vous pouvez être vraiment content et plus de 4000, vous pouvez sabrer le champagne, vous avez atteint la moyenne française du nombre d’exemplaires vendus par livre/auteur. Admettons que nous nous fixons la barre symbolique des 4000 ouvrages. Il faudrait donc, dans notre objectif initial de rentabiliser notre livre au SMIC-horaire, que le livre dégage de fait 10570 : 4000 = 2.64 € de droit d’auteur par livre. Ajoutons à cela les 5.40 € d’impression et le marketing, soit en gros 10 € par livre. Le problème, c’est qu’un auteur débutant sera plus proche des 400 que des 4000 et il devrait logiquement vendre son livre 30 €. Mais qui va acheter le livre d’un inconnu 30€ ? Personne. Vos ventes se réduisent davantage et le prix de votre livre devrait alors mécaniquement croître. Juste à côté, le grand auteur Machin vend le sien moins cher alors qu’il profite en plus d’une couverture médiatique et publicitaire incomparable. Donc s’il vend son livre 10 €, vous ne pourrez déjà pas demander plus parce que le lecteur-consommateur va nécessairement tracer mentalement une limite pour définir ce qu’est, à son sens, la valeur de l’objet-livre. Bref, si le prix moyen des livres qui visent un public similaire est de 10€ , alors vous n’aurez d’autre choix que de vous y conformer. Il faut alors changer de stratégie en maintenant la vente de votre livre sur une période plus longue.
Le lièvre et la tortue
Heureusement, l’impression à la demande et les plateformes internet viennent au secours des petits auteurs. Car l’autre problème que l’on rencontre rapidement, c’est qu’un libraire n’a pas beaucoup de place et énormément de trafic. Pour vous donner un ordre d’idée, on vend par an 436.700.000 exemplaires de livres et on en envoie 142.000.000 au pilon. La durée de vie d’un ouvrage moyen est de 6 mois. Vendre 4000 livres en 6 mois, cela correspond à 22 exemplaires vendus par jour. Alors que si vous vendez votre livre sur une plateforme en impression à la demande, il peut rester bien plus longtemps et donc abaisser l’horizon de vente journalier. Seul le coût marketing continuera d’éroder votre marge jusqu’à le rendre, un jour, définitivement non rentable. Sauf à arrêter toute promotion et le rendre invisible. Notre exemple se limitait à UN ouvrage et vous allez voir comment augmenter la production peut permettre de sortir partiellement de cette ornière.
Écrire pour vendre ou par plaisir ?
Premier constat : un Smic, même en six mois, est insuffisant pour survivre. Le seuil de pauvreté, c’est environ 1000 euros mensuel soit 12000 par an. Pour exemple, il existerait en France peu ou prou 100 000 auteurs, dont seule une poignée (5% environ) possèdent des revenus à déclarer. Sur les quelques milliers qui sont effectivement déclarés en auteurs-créateurs pour leurs bénéfices non commerciaux, 30 % ont moins de 10 000 € par an. 50 % gagnent entre 10 et 30 000 €. Ajoutons à cela la pression d’une concurrence de plus en plus forte (200% d’auto-édités de plus en 5 ans) pour parfaire un tableau peu engageant.
La solution est de proposer régulièrement des livres sans se soucier dans un premier temps de leur rentabilité immédiate mais de profiter de la croissance de votre marque pour faire des économies d’échelle sur votre budget marketing et déclencher une dynamique de vente suffisante. Des lecteurs qui mettent un commentaire positif vous rendent alors un service formidable. Ce sont eux qui vont vous permettre de rester visible. L’écriture est finalement assez proche de l’artisanat et franchement éloignée des rêveries glamour que l’on retrouve, paradoxalement, dans la littérature. L’auteur qui écrit un unique roman qui doit le rendre riche et célèbre, disons-le clairement, a autant de chance de parvenir à son but que celui qui joue au Loto. Heureusement, être auteur est souvent une passion. Malheureusement, ce n’est généralement qu’une activité annexe. Qui peut, cependant, à long terme et dans le meilleur des cas, permettre de réduire celle que vous faites pour des raisons purement alimentaires et un jour, qui sait, la remplacer. Voilà pour l’objectif “raisonnable”. L’important c’est de se souvenir que l’on écrit d’abord pour le plaisir de partager et celui de faire passer un peu de bon temps à nos contemporains. Car le capitalisme, c’est assez triste finalement.
Dans notre cas, nos “droits d’auteur” s’élèvent à un peu moins de 20 centimes par ouvrage vendu. Poétiquement, cela représente un café partagé avec vous tous les dix livres vendus.
Et pour cela, un grand merci !